On dit que le monde ne fut jamais silencieux.
Avant les royaumes, avant les temples, avant même les serments des dieux, il y eut le feu —
et dans ce feu, le battement d’ailes.
Les Dragons ne sont pas nés comme naissent les bêtes.
Ils furent délivrés.
Car Irkay, voyant la terre se couvrir d’ombres et de morts qui refusaient le repos, ouvrit le cœur de sa flamme et en laissa s’échapper ses Oiseaux de Proie.
Ils descendirent comme des comètes, et là où leurs ailes fendaient le ciel, la nuit reculait.
Au temps que les Annales nomment aujourd’hui l’Ère Draconique, Addisha marcha sous le regard d’Irkay.
Derrière elle, le ciel s’embrasa.
Les Dragons balayèrent Lunaria et Aldonia, et les morts-vivants d’Argone furent réduits en cendres.
Les peuples crurent alors à la délivrance éternelle. Ils se trompaient.
Car l’homme, même sauvé, demeure avide.
Lorsque les Golems d’Or furent dressés, hauts et étincelants, le feu draconique changea de regard.
L’or attira l’aile.
La richesse brilla plus fort que la prière.
Alors les Dragons se retournèrent sur les royaumes qu’ils avaient purifiés.
Villes et forêts brûlèrent de la même flamme.
Ce fut la Guerre Draconique, et nul ne sut plus distinguer le sauveur du fléau.
Les hommes comprirent enfin qu’on ne dompte pas le feu divin.
Ils forgèrent alors des géants sans âme ni sortilège,
des golems de gemmes, sourds aux chants, résistants aux flammes.
Ces colosses n’avaient ni miracle ni faveur céleste.
Ils tenaient.
Et parfois, tenir suffit.
Peu à peu, les Dragons quittèrent le monde, repoussés, vaincus, ou endormis sous les ruines du temps.
Ainsi s’acheva l’Ère Draconique.
Mais tout feu laisse des braises.
Dans les terres d’Aldonia, bien après la guerre, un Dragon Noir hantait le village d’Émeraude.
Il n’était ni messager d’Irkay, ni serviteur d’Argone —
seulement une cicatrice vivante.
Alors Eolane l’Alchimiste façonna un golem nommé Stanislas.
Il ne lançait aucun sort.
Il n’invoquait aucun dieu.
Il avança.
Et cela suffit.
Le Dragon Noir tomba, et avec lui un dernier écho de l’Âge du Feu.
Les Dragons sont mortels, mais leur mort n’est jamais banale.
Ils ne sont ni montures, ni légendes creuses.
Quand un Dragon apparaît, le monde est déjà en train de changer.
Quand il meurt, une page se ferme.
Et dans les ruines, parfois, on jurerait encore entendre…
le froissement d’ailes dans le vent.